Moi qui ronronne dans le porno pépère depuis un bon moment et qui, l’âge aidant, m’embourgeoise toujours plus dans mon petit confort, voilà que l’artiste fou Guerrilla Metropolitana m’envoyait il y a peu son dernier film : The Benefactress, sous-titré An Exposure of Cinematic Freedom (édité chez Blood Pact Films en DVD/Blu-ray). Soit "la bienfaitrice – une exposition de la liberté cinématographique". Sans qu’il en ait conscience, le gars allait alors bousculer mes habitudes et malmener mon train-train pendant plus d'une heure. Pensez donc : film interdit de distribution in UK, et film qui remua fort son public lors de son passage en ciné-clubs souterrains...
Guerrilla Metropilitana ? Un pseudo bien sûr, derrière lequel se planque un Italien sis à Londres, réalisateur d’une flopée de courts métrages dans les années 020 – et du plus long Dariuss sorti à l’été 2025. Dit comme ça, rien de bien nouveau sous le soleil de l’arthouse et de l’underground : la joie adolescente de briser les tabous, le plaisir de la rébellion et l’énergie toute juvénile de la transgression. Du passé cinématographique faisons table rase en un mot, et qu’importe le bien-être du spectateur : foin des contraintes narratives et des bienséances élémentaires, seul compte la liberté de filmer – même à la sauvage (pour 10 000 $ ici, en un seul petit week-end). Il faut dire que Metropolitana est un drôle d’oiseau, qui annonce la couleur sans complexe : « Je suis de droite et voue une haine farouche au politiquement correct et à toute cette culture woke nauséabonde, avec ses valeurs dictées d'inclusion, d'égalité et de gentillesse. Je suis un animal sexuel débridé qui se moque de ces valeurs. Je crois aux plus forts, au talent et à l'exclusivité de l'individu surdoué. Je méprise la médiocrité, la superficialité et l'hypocrisie progressiste. Je suis un rebelle qui refuse de s'incliner devant le piédestal de l'égalité » (entretien au site Eternality Tan, le 10 décembre 2025). Provocation ultra ou sincérité absolue ? Peu importe, car la seule question qui vaille est de savoir si le cinéma du bonhomme répond à cette charte idéologique et esthétique – particulièrement ambitieuse.
Le mec m’avait prévenu cela dit : The Benefactress is pornographic avant-garde horror. The film has some authentic sexual scenes, it's very sadistic... It’s about how far can a filmmaker go in the name of artistic freedom through voyeurism and sadism. Programme goûtu a priori, mais l’intérêt de la chose n’est pas dans cette accroche. Pas fondamentalement du moins, si l’on en croit le réalisateur : It's not horror, it's horrific. It's not porn yet it's pornographic. Technically, it is an experimental film with pornographic elements. C’est vrai, pas de meilleure définition après visionnage.
Non, notre curiosité est toute entière dans la genèse du produit (réelle ou inventée ?), singulière ô combien : tombée sous le charme des films de Metropolitana, l’épouse malade d’un célèbre télé-évangéliste a décidé de financer le dernier projet de l’artiste... mais à une seule condition : qu’elle apparaisse dans le film par écran interposé, cachée sous l’alias d’Elektra McBride – et sous un masque fetish. La nana est donc au porte-monnaie, mais elle est surtout meneuse de vices puisque c’est elle qui, via l’IPhone, sera spectatrice des méfaits commis par l’héroïne. Où l’on voit que les prolégomènes de The Benefactress interrogent d’emblée, et engagent le film sur une voie métapolitique : l’hypocrisie d’une élite prétendument pure, mais à l’âme si pervertie qu’elle favorise le vice incognito car elle y prend aussi du plaisir...
L’héroïne disions-nous ? Juicy X de son alias, en référence à ses gros seins. Regard caméra, la nénette ronde et mûre se présente dans une longue introduction, affirmant qu’elle aide les femmes victimes d’abus dans le civil (c’est elle "la bienfaitrice" du titre), mais qu’elle est aussi comédienne dans une deuxième vie. Derrière elle, la sculpture étrange d’un appareil génital féminin, et le commandement princeps inscrit en toutes lettres : Do what you love... La liberté, toujours la liberté. Et puis l’ironie bien comprise car cette Juicy X abusera comme jamais d’une "Mystery Woman" (la victime) – pour le bonheur d’Elektra McBride. Bref, l’être humain est multidimensionnel, et qui fait l’ange fait la bête comme dirait l’autre.
La bête oui, car le prologue passé, Juicy X soumet sa victime à tous les caprices sexuels pendant une heure, sous le regard d’Elektra : laquelle se touche la minette et les nibards devant tel spectacle. Mention spéciale à toutes ces actrices du reste, tant le réalisme et l’énergie prévalent dans leur performance. Mais quel spectacle ? Rasage contraint, poire à lavement, godemiché, cunis forcés, gifles, coups de poing ou pistolet braqué sur la tempe pendant l’acte. Ainsi aura-t-on vite compris que le film n’a rien de masturbatoire : les chairs sont flasques, les corps adipeux et le filmage tout sauf érotique, à la grammaire volontairement laide (flous, hyper gros plans, décadrages, tremblements...). De surcroît, il n’y a guère de narration dans The Benefactress, si ce n’est une forme de crescendo dans l’horreur : la bourrelle est interrompue par sa femme de ménage, puis elle enfile une nuisette sexy et déplace sa proie d’une pièce à l’autre... jusqu’au surgissement du cameraman, Guerrilla Metropolitana lui-même, qui baise la victime et se trimballe quéquette à l’air pour mieux jouir de la situation. Un parfum légèrement snuff flotte alors en ces instants, d’autant que les actes sexuels ne sont pas simulés pour la plupart – et prennent constamment des airs violents. Un tour de force esthétique quoi qu’il en soit, tant le réalisateur s’attache aux formes de son œuvre : à la normalité triste du quotidien correspond un noir et blanc sinistre et un filmage apaisé, tandis que les horreurs de Juicy X sont en couleur et bénéficient d’une caméra toujours en mouvement – rythmées tout du long par des messages subliminaux, par les clics d’un appareil photo et par les sanglots de la victime. Ou des victimes plutôt, car cette liberté n’a pas de limites, pas de frein... L’ordinaire est lugubre en un mot, et la liberté plus joyeuse semble-t-il, même si elle s’exerce au dépens des autres.
Mais de joie et de plaisir il n’y aura pas pour le spectateur normalement constitué : scandé par les apparitions d’Elektra sur l’écran du portable – ou par Metropolitana dans le dernier tiers –, le film devient long supplice pour les voyeurs (in)volontaires que nous sommes alors, objet de contemplation comme il l’est pour Elektra et le réalisateur. Nous sommes placés dans la même position que les tortionnaires finalement, au point que le procédé peut rappeler les scènes finales du Salo de Pasolini, lorsque l’on mire les tortures infligées aux jeunes gens à travers les yeux de leurs bourreaux. D’où ce malaise qui n’en finit pas et transforme The Benefactress en épreuve : il ne s’agit pas d’aimer ou de ne pas aimer, il s’agit de supporter jusqu’au bout... Jusqu’à ce moment où Metropolitana se joint aux deux femmes et sacrifie cette "Mysterious Woman".
En ce sens, The Benefactress est bien une expérience limite, et un bon thermomètre pour mesurer notre capacité à souffrir la liberté artistique : même quand son objet ne convient pas à nos codes et à notre éducation.
David DIDELOT
Blu-ray et DVD sont disponibles sur le site de Blood Pact :




